De son vivant, Claudiu Crulic n'intéressait personne. C'est même l'indifférence qui a tué ce jeune Roumain, abandonné comme un chien dans une prison polonaise. Maintenant qu'il est mort, on l'écoute dans le monde entier. Sa voix d'outre-tombe y résonne par la grâce d'un film d'animation formidable, Le Voyage de M. Crulic – notamment primé au festival d'Annecy –, diffusé par Planète+ la veille de sa sortie en salles, mercredi 12 décembre 2012.
« J'ai un nouveau passeport. Mortuaire. C'est comme ça que je passe les frontières. Je passe les frontières, vous m'entendez bien ! Sans que personne ne demande rien. Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie. Et en Mercedes ! » Alors que sa dépouille est rapatriée dans le véhicule d'une société de pompes funèbres, Crulic se raconte avec une douce ironie, un détachement presque amusé. A quoi bon fustiger ses bourreaux, les faits sont terrifiants.
Le 11 juillet 2007 à Cracovie, un juge polonais déclare le vol de son portefeuille. Le 10 septembre, le dénommé Claudiu Crulic, émigrant Roumain venu louer en Pologne ses talents de mécanicien auto, est accusé du larcin (imputation impossible puisqu'il se trouvait alors en Italie), puis incarcéré à Cracovie. Il entame immédiatement une grève de la faim et clame son innocence à longueur de lettres adressées au directeur du centre de détention, au procureur de la ville et, surtout, au consulat roumain. Personne ne daigne réagir. Les médecins de la prison ne se préoccupent pas plus de son état de santé, ou alors trop tard. Claudiu Crulic meurt un jour de février 2008, il avait tout juste 33 ans.
« L'histoire de ce garçon m'a tout de suite fascinée, confie la réalisatrice du Voyage de M. Crulic, la Roumaine Anca Damian. Je trouve stupéfiant qu'au XXIe siècle, dans un pays dit civilisé, des individus, nombreux, assistent les bras croisés à la longue agonie d'un homme. » Déterminée à retracer sa trajectoire, elle bute vite contre un obstacle : comment donner à ressentir l'enfer vécu en prison par Crulic, « cette espèce de vide autour duquel tournaient les témoins de son calvaire, attentifs à ne pas se laisser entraîner dans le précipice ? C'est alors que j'ai eu l'idée de l'animation ».
Directrice de la photographie au cinéma, réalisatrice de documentaires, Anca Damian n'a aucune compétence en la matière. Mais elle a la foi des novices. Elle enquête, réunit des photos de Claudiu Crulic prises tout au long de sa vie, photographie « ses objets, ses vêtements, les lieux où il a vécu » et, avec une équipe de cinq personnes « très créatives », jongle avec le pinceau, la colle et les ciseaux pour lui redonner vie. D'une façon incomparable. Chaque séquence est une invention visuelle. La silhouette de Crulic, allongé dans sa cellule, devient peu à peu transparente ; et la route qu'emprunte le corbillard se transforme en serpentin qui se perd dans l'infini…
“Le Voyage de M. Crulic” ou la vie pour une bourse
DOCU D’ANIMATION | Accusé à tort du vol d'un portefeuille, un jeune Roumain, Claudiu Crulic, se laisse mourir de faim en prison. Un documentaire d'animation inventif sur un drame bien réel. (...) Le 08/12/2012 par Marc Belpois - http://bit.ly/UXnggf